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Philippe FIÉVET

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Ruby, une romance birmane – Lecture par Philippe Fiévet

Réalisation: Charlotte Daerden

Dans un ultime réflexe pour sauver leur couple, les deux femmes avaient tenté ce grand voyage de réconciliation. Mais mettre de la distance avec le quotidien ne suffit pas pour recoller les morceaux. L’espoir de redonner du souffle à leur vie amoureuse et de diluer la grisaille du jour le jour dans le ciel bleu de Pagan avait tourné court. Ruby avait fini par laisser Claire à ses angoisses et ses velléités de confort. Sa caméra en bandoulière, elle avait pris la tangente en compagnie «d’un petit Birman», ainsi qu’elle appelait son guide qui veillait sur elle avec une touchante sollicitude et la mettait en garde contre les serpents venimeux, en particulier la vipère de Russel à la morsure fatale. Dès qu’elle était en mode caméra, il était vain de la ramener à la raison. Animée par un sixième sens, elle faisait corps avec l’imminence du moment et se déplaçait avec grâce, mue par le désir, presque mystique, de sonder le réel, de capter l’éphémère pour en conserver l’iridescence. «C’est ma manière de faire corps avec le monde, de refuser de le voir disparaître, et, en fin de compte, de disparaître à mon tour.» Elle prenait Cartier-Bresson à témoin, son maître à penser dont elle citait volontiers les écrits pour les reprendre à son compte : «Le temps court et notre mort seule arrive à le rattraper. La photographie est un couperet qui, dans l’éternité, saisit l’instant qui l’a éblouie.»

Là-bas, en Birmanie, la casquette sur la tête pour discipliner ses cheveux en même temps que son brin de folie, Ruby s’était grisée d’images inédites, sans Claire, trop fatiguée, trop inquiète, trop incommodée par la chaleur. Le plus souvent, celle-ci était restée à la lisière des découvertes et avait préféré l’attendre sur la terrasse de l’hôtel, à bouquiner, à se rafraîchir dans la piscine ou à siroter son cocktail favori. Mais dès que Ruby revenait de sa chasse aux images, elle lui reprochait de l’avoir laissée seule et d’être totalement inconsciente de s’aventurer avec un homme qu’elle ne connaissait pas. Et quand elle disait «un homme», on sentait bien dans son intonation un voile de mépris qui ne laissait planer aucun doute sur son opinion au sujet de la toxicité masculine.

La Birmanie consacra la fin de leur liaison. D’un commun accord, elles en soufflèrent la flamme, en douceur, mais sans regret, et ce qui aurait pu être un nouveau départ dans l’ombre ambrée des pagodes scella leur séparation de manière définitive. Il n’était pas nécessaire de m’en dire davantage, car j’avais connu moi-même ce voyage doux-amer qui trompe tout espoir de renaître l’un pour l’autre et consacre le crépuscule d’un amour éteint.

Ruby, une romance birmane, pages 12-13, lecture d’un extrait par Philippe Fiévet (Réalisation vidéo: Charlotte Daerden).

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