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Philippe FIÉVET

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Les secrets du Belge qui réhabilite les indiens

Cet été, sur la route des vacances, la ville de Lyon est une étape d’autant plus intéressante que jusqu’au 28 août, son musée des Confluences consacre aux Indiens d’Amérique une exposition temporaire exceptionnelle élaborée à partir de la collection privée du Belge François Chladiuk, sans doute la plus complète et la plus documentée au monde.

C’est à la découverte de fabuleuses richesses patrimoniales que nous convie le musée lyonnais, avec cette exposition phare qui a déjà franchi le cap des 280 000 visiteurs et révèle 157 pièces uniques, dont des parures, mocassins et chemises de guerre portées par les légendaires Indiens des plaines. François Chladiuk raconte comment il a mis la main sur de telles pépites. Une chasse au trésor qui nous emmène de Wounded Knee (Dakota du Sud) à l’exposition universelle de Bruxelles en 1935, puis chez un mystérieux antiquaire du Sablon. 

Depuis de longues années, vous êtes un collectionneur passionné d’objets amérindiens. Comment cette réputation est-elle parvenue jusqu’à Lyon ?

François Chladiuk. J’avais déjà participé à trois expositions aux musées royaux d’Art et d’Histoire, au Cinquantenaire. Lors de la dernière en date, le conservateur de la section Amérique, Sergio Purini, m’a présenté à Hélène Lafont-Couturier, qui dirige le musée des Confluences à Lyon. Elle m’a tout de suite proposé d’organiser une expo dans sa ville, ce qui représentait pour moi un grand honneur. Trois années ont été nécessaires pour monter «Sur la piste des Sioux». Les 157 pièces qui constituent ma collection y sont rassemblées sur plus de 1 000 m2. Je ne serais pas étonné qu’on dépasse finalement les 300.000 visiteurs.

Vous êtes notoirement connu pour être le Bruxellois le plus américain de la capitale, adepte des chemises à carreaux et des bottes de cow-boy, même hors du comptoir de votre magasin. Comment se fait-il qu’un fan du Far West tel que vous ait pris le parti des Indiens ?

Les Indiens ont toujours séduit beaucoup de monde, et pas seulement les enfants. Je ne dois pas faire exception à la règle. Pour tout vous avouer, j’ai commencé par réunir, par passion, tout ce qui faisait partie de l’univers des cow-boys et des Indiens, de préférence des pièces authentiques et anciennes. En 1990, mon hobby est devenu ma profession: j’ai ouvert le Western Shop, dans lequel on peut trouver toute la panoplie du parfait cow-boy, des bottes à la décoration western: têtes de bison, statues, blousons, vêtements et autres pièces originales. Peu à peu, je me suis fait une belle clientèle internationale: Michel Sardou, Renaud, Yannick Noah, feu Arno et bien d’autres comme Bruce Springsteen ou Robert Plant, le chanteur de Led Zeppelin, m’ont rendu visite. J’ai vu défiler chez moi, boulevard Adolphe Max à Bruxelles, une partie de Hollywood. Au fil du temps, je me suis pris au jeu et j’ai ajouté tout ce qui appartient à ce que j’appelle la légende américaine, que ce soit le blouson en cuir Perfecto qu’affectionnait Marlon Brando, ou celui de Maverick dans «Top Gun». Du Far West initial, mon magasin s’est orienté vers les États-Unis dans leur ensemble.

Un pays que vous devez bien connaître... 

La première fois que j’y ai mis les pieds, c’était en 1981, à l’époque de Reagan. Depuis, j’y ai effectué plus de 140 voyages, le plus souvent dans le cadre de mes activités professionnelles, tout en multipliant les visites dans les musées consacrés à Buffalo Bill: à Golden, dans le Colorado, ou à Cody, dans le Wyoming. C’est à partir de là que j’ai commencé ma collection, jusqu’à ce jour de 2004 gravé à jamais dans ma mémoire... 

C’est ce jour-là que vous avez découvert « le » trésor ? 

Exactement! Un antiquaire du Sablon qui connaissait mon intérêt pour les nations indiennes me fait venir chez lui et me montre huit malles remplies d’objets de l’époque de Buffalo Bill et consorts. Tout cela était conservé en vrac dans les malles et rien ne me disait que j’y trouverais des pièces intéressantes. Je n’avais aucune idée de la valeur de ce que je venais d’acquérir. Or, il s’est avéré, après une analyse minutieuse, que je venais de mettre la main sur des objets ayant appartenu à un groupe d’Indiens Lakota composé de quinze personnes, hommes, femmes et enfants, venus dans le cadre de l’exposition universelle de Bruxelles de 1935.

Bingo ! 

C’est le cas de le dire! Je me passionne aussitôt pour ma découverte et j’entame des recherches. C’est alors que je découvre plusieurs cartes postales et photos représentant des Indiens portant rigoureusement les mêmes habits que ceux trouvés dans la malle. Extraordinaire, n’est-ce pas ? Je n’avais plus aucun doute sur l’authenticité de ces objets. Au fil de mes recherches, il est ensuite apparu que ces malles avaient appartenu à un certain Auguste Hermans, qui avait racheté le lot au lendemain de la fin de l’expo universelle. En tout 157 pièces, avec des tenues complètes : coiffes en plumes d’aigle, chemises de guerre, jambières, mocassins, calumets…

Pas d’armes ?

Non, ils étaient venus en Belgique pour danser et la hache de guerre était enterrée depuis longtemps. Mais le plus étonnant dans cette histoire, c’est que l’expo de 1935 ne mentionne pas la présence de Sioux, car l’Amérique n’avait pas été invitée. En fait, ce «Wild West Show» s’était produit en dehors de l’enceinte de l’expo et n’avait pas été répertorié parmi les manifestations officielles. Il n’en demeure pas moins que plusieurs familles étaient présentes cette année-là, comme en témoignent les photos que j’ai retrouvées.

Et l’histoire ne s’arrête pas là…

En effet. En 2006, j’accompagne une équipe de RTL pour un voyage aux États-Unis dans le cadre de l’émission « Reporters ». Nous nous rendons à Wounded Knee, dans le Dakota du Sud, au cœur de la réserve indienne de Pine Ridge où, le 29 décembre 1890, trois cents Indiens Sioux de la tribu Lakota ont été tués par l’armée des États-Unis. Quatre-vingt-trois ans plus tard, plusieurs Indiens venus commémorer le massacre ont été tués à leur tour par le FBI après 71 jours de siège. Et c’est là que je retrouve le fils d’une des familles qui s’était rendue à Bruxelles en 1935, Walter Littlemoon. Bien qu’il ait aujourd’hui 79 ans, il est venu à l’inauguration de l’exposition de Lyon. C’est devenu un ami très cher.

Cet homme dont vous avez retrouvé la trace a dû avoir un destin particulier... 

Oui, il est l’un des survivants de ces sinistres pensionnats où l’on s’efforçait d’extirper toute racine indienne de leur mémoire et de les transformer en parfaits petits Américains. Il en a été très affecté, comme d’ailleurs beaucoup de membres de sa tribu. Il existe un documentaire de 57 minutes sur ces pratiques, «The Thick Dark Fog », dans lequel j’apparais. Je suis même le seul Blanc à me retrouver dans ce documentaire indien ! Entre-temps, mon ami Littlemoon a écrit un livre et, lors de sa visite à Lyon, a reconnu les affaires de ses parents, de sa petite sœur et de ses frères. C’était très émouvant. Ce jour-là, la directrice du musée a fait un speech, puis Littlemoon a pris la parole en lakota, la langue de ses ancêtres, traduite au fur et à mesure en anglais puis en français. À la fin de son intervention, devant les 650 invités présents, pour sceller notre vieille amitié, il m’a remis un cadeau de sa tribu, un magnifique collier. 

Vous évoquez le livre de Littlemoon, mais vous-même avez rédigé un ouvrage qui a fait sensation aux États-Unis.

En 2012, j’avais envie d’écrire un livre à propos de ma collection. J’en ai parlé à mon ami Steve Friesen, directeur du musée Buffalo Bill de Golden. Il était emballé et nous avons travaillé ensemble à sa rédaction durant cinq ans. Nous avons ensuite contacté le meilleur éditeur américain pour ce type d’ouvrage, la University of Oklahoma Press. Trois historiens ont passé notre texte au peigne fin avant de donner un avis positif. Il a été publié en 2017 et j’ai fait trois séances de dédicaces, une à Dallas, une au musée Buffalo Bill et une chez moi, dans mon magasin. Mais ce qui nous a vraiment remplis de joie, c’est de nous être vu décerner un Western Heritage Award du Meilleur livre, quelque chose de comparable à un Oscar. Plus de mille invités ont assisté à la remise de ces prix qui ont déjà honoré John Wayne, Kirk Douglas et les plus grands noms de Hollywood dans d’autres catégories. Il nous a été remis une sculpture en bronze de six kilos représentant un cow-boy à cheval ! L’année suivante, nous recevions, Steve Friesen et moi-même, le prix du meilleur livre historique illustré sur les États-Unis, le Joan Paterson Kerr Award.

C’est donc cette histoire qui se retrouve en filigrane dans l’exposition du musée de Lyon. Dans quel esprit celle-ci a-t-elle été conçue ?

Le but, c’est de montrer la véritable histoire des Indiens d’Amérique. On tord le cou à beaucoup de stéréotypes principalement véhiculés par les westerns: l’Indien y était représenté comme un être animé de bas instincts, voleur de chevaux, chasseur de scalps, tout le contraire du bon sauvage de Rousseau. L’âge d’or des westerns, avec John Wayne, a malheureusement enfoncé le clou. Les Indiens y sont représentés comme des prédateurs. « Sur la piste des Sioux » s’efforce de rétablir la vérité historique, ce qui s’est réellement passé, la manière dont les Indiens ont été traités et chassés de leurs terres, le sort qui a été réservé à ceux qui, finalement, sont les vrais Américains, mais qu’on appelait «peaux-rouges» pour mieux les stigmatiser. Le cinéma a souvent été un agent de propagande qui n’a pas hésité de verser dans les fake news. Mais peu à peu, il s’est racheté vertu avec des films comme « Soldat bleu » (1970), « Little Big Man » d’Arthur Penn (1970), « Un homme nommé cheval » (1970) et surtout le bijou de Kevin Costner, « Danse avec les loups » (1990).

Aujourd’hui, que pensent les Américains de la façon dont les Indiens ont été traités ?

Le sujet reste sensible dans certaines régions. C’est politique. Il y a toujours un fond de xénophobie dans l’air, même si cela évolue. De nombreuses expositions d’ampleur variable ont déjà été présentées dans le monde sur le sujet.

Qu’est-ce qui fait la différence avec ce que présente le musée des Confluences ?

Pour vous donner un exemple, il existe des milliers de mocassins qui datent de 1930, mais aucune photo ne les accompagne, aucun document n’est capable de les remettre dans leur contexte. Ce sont des objets sans âme, vides de sens, alors qu’ici, tout est répertorié et documenté. Et puis, vous l’avez compris, l’histoire de cette collection retrouvée miraculeusement est presque aussi belle que la collection elle-même. Elle touche notre cœur, car on peut aisément s’identifier à Littlemoon et à sa famille, des gens en chair et en os qui ont dansé à Bruxelles la danse des esprits. Et ça, c’est fabuleux!

C’est aussi l’histoire de votre vie, une histoire qui fait partie de vous quand on voit comment vous vous habillez.

Oui, je porte toujours mon « bolotie » avec sa boucle représentant un profil de Sioux, ma paire de bottes de cow-boy, mon ceinturon à l’effigie de Roosevelt et mon éternelle chemise à carreaux avec empiècements et poches appliquées. C’est mon look de tous les jours et en toutes circonstances, ma profession de foi! D’ailleurs, les trois fois où j’ai été reçu au palais royal, je me suis présenté ainsi, avec un beau blouson, en mode western chic. Et le protocole n’y a rien trouvé à redire. 

Philippe Fiévet.
Article publié dans Paris Match Belgique le 07.07.2022.

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