Tentation

Lecture par Philippe Fiévet (CD disponible auprès de la Ligue Braille).

Entre chien et loup, on frappe à la porte. Le moine, en prière, se demande quel visiteur peut se présenter à une heure aussi tardive. Il ouvre et aperçoit une jeune femme désorientée. Un manteau à capuche la recouvre de la tête aux pieds et dissimule son visage. Le plus innocemment du monde, elle se jette aux pieds du moine. Elle s’est perdue, poursuivie, aux abois, peut-il lui accorder l’hospitalité, car elle ne sait où aller, craint l’obscurité et les bêtes sauvages? Rempli de compassion, l’ermite accueille la pauvre enfant et la débarasse de son manteau, révélant du même coup une beauté incandescente. Ses intentions sont pieuses, répète-t-elle pour rassurer son hôte déconcerté. Avec une assurance qu’il n’a pas vue venir, elle s’approche de lui, minaude, se fait câline. L’ermite se demande à quel saint se vouer. La beauté s’enhardit, caresse sa barbe, son menton, ses épaules et sa poitrine pourtant bardée de la sainte Croix. Le pendentif vole par terre comme la détermination du moine. Bientôt, il cède, répond à l’étreinte, les lèvres entrouvertes, pendant qu’elle lui susurre: «Viens en moi, je suis prête». 

C’est le moment où le rideau se déchire et où tout bascule! La bouche ne rencontre qu’un écran de fumée dans une insupportable odeur de corne brûlée. Au même instant, la cellule s’emplit d’un rire sardonique, tandis qu’une cohorte de démons assemblés en gradin applaudit la fin du spectacle. Et le rire ne fait que s’amplifier aux quatre coins du déser, un rire luciférien qui fait trembler les animaux dans leur terrier et les reclus dans leur tanière, un rire d’un rouge aussi ardent que la figure du diable au théâtre, quand tout est joué, ou plutôt, que tout est perdu et qu’il ne reste plus rien à faire que s’effondrer sur soi-même.

Comme tout moine qui emprunte la voie de l’ascèse, Paphnuce connaissait ce genre d’histoire colportée par les Pères du désert, mais il se sentait de taille à relever le défi. Sans se concerter, les deux anachorètes se mirent à chanter et la vibration de leurs cordes vocales sembla s’accorder avec la palpitation des astres. La lumière était en eux, ils faisaient un avec l’univers.

Le lendemain, Paphnuce reprit sa route, l’hymne des chérubins toujours en tête; suivant les conseils de Sofrone, il obliqua vers l’ouest et quelques jours plus tard, le ciel le confirma dans son choix quand il tomba nezà nez avec une colonne vidée de son occupant et encore munie de son échelle de corde. Elle faisait une trentaine de pieds de hauteur.

Comment ne pas y voir un signe

Une colonne pour le paradis, Philippe Fiévet, pages 62 à 63.

© Philippe FIÉVET, 2024

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