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Philippe FIÉVET

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Un stylite syrien et un sybarite romain

Ce n’est pas le roman que l’on attendrait d’un éditorialiste à la rédaction belge de Paris Match, hebdomadaire voué comme on sait à l’actualité la plus brûlante et aux célébrités les plus significatives de leur époque. Philippe Fiévet nous entraîne, en effet, dans la Syrie byzantine du Ve siècle avec laquelle des voyages au Levant et un séjour au mont Athos l’ont familiarisé.

Le Ve siècle est celui de deux grands bouleversements: après avoir saccagé Rome en 410 et en 455, les Barbares ont déposé l’empereur en 476, l’Empire ne survivant dès lors plus qu’à Constantinople et en Orient; l’empereur Théodose le Grand ayant proclamé le christianisme religion d’État, il s’en suivi une féroce persécution des païens en même temps qu’un remarquable développement de la théologie chrétienne dans la diversification des églises, des credo et des rites (byzantine, copte, assyrienne, syriaque, arménienne, etc).

Au sein de ce christianisme oriental, l’Égypte a vu deux hommes, Antoine (+356) et Pacôme (+346), quitter le monde qu’ils jugeaient à l’agonie et s’exiler dans le désert où ils fondèrent les premiers monastères connus de l’histoire chrétienne. Des milliers d’autres (dont aussi des femmes) se firent leurs disciples.

Extrémistes de l’ascèse

Les grands noms des ascètes les plus marquants furent connus en Syrie, grâce notamment aux ouvrages de saint Jérôme (+420). Dès lors, on y vit bientôt les anachorètes (moines vivant dans la solitude et non en communauté comme les cénobites, mais pas ordonnés prêtres), battre des records de privations et de souffrances.

Les plus extrémistes d’entre eux optèrent pour la solitude d’une caverne, d’un tombeau, d’un trou dans le sol, d’une cage construite à cet effet. D’autres optèrent pour des pénitences plus extravagantes encore. On distingue parmi eux des “dendristes” qui vivaient dans un arbre, tel saint Maron, qui y passa onze ans; des “brouteurs”, vivant d’herbes et de racines, et dont certains allaient jusqu’à ne plus marcher qu’à quatre pattes; des “stationnaires”, qui demeuraient immobiles, sans bouger, sans parler, sans même lever les yeux; et des “stylites”, qui vivaient sur des colonnes dont certaines pouvaient atteindre 25 mètres de haut, à l’instar de saint Syméon, qui en eut le premier l’idée.

Dans son livre superbement intitulé Les Hommes ivres de Dieu (Fayard, 1975), Jacques Lacarrière constatait que, contrairement à l’Égypte ouverte sur la Méditerranée, la Syrie était un pays tourné vers l’intérieur, vers les déserts orientaux qui la reliaient à la Mésopotamie et à la Perse. «Cette vocation continentale de la Syrie explique pourquoi, lors des grands schismes du VIe siècle, quand l’Église syriaque (à l’exemple de l’église copte) se séparera de Byzance et deviendra monophysite, elle entraînera dans l’hérésie et le schisme toute la chrétienté orientale».

Une imagination débordante

Philippe Fiévet s’est plongé dans la Syrie de cette époque pour imaginer les destins de deux hommes en lesquels il a incarné l’antagonisme qui pouvait opposer un païen fidèle aux dieux de l’Illiade et de Rome, et un chrétien qui se fait stylite par amour pour le divin Crucifié. D’une part, donc, Rufin, un patricien riche et lettré qui a fui Rome attaqué par les Barbares, et est tombé amoureux fou d’une artiste de cirque, Myriam, qui a quitté le métier pour lui et avec qui il partage une intense vie érotique; d’autre part, Paphnuce, un garçon de la campagne qui s’est fait moine avant de pousser son oblation plus loin en se s’isolant sur une colonne pour se rapprocher du Ciel.

L’auteur déploie dans son récit une imagination débordante autant qu’une solide documentation: fastes urbanistiques, bibliothèque érudite, vie monastique, spectacles de cirque, courses de chars, émeutes urbaines, épidémie de peste, controverses spirituelles – tout contribue à une recréation vivante d’un monde disparu. (Pour être axé sur un stylite, le roman comporte quelques scènes érotiques des amours de Rufin et Myriam qui ne se prêtent guère aux lectures recto-tono (sur un ton droit) de tradition au cours des repas dans les abbayes!).

Jacques Franck, dans La Libre Belgique, 07.09.2022.
https://www.lalibre.be/culture/livres-bd/2022/09/11/un-stylite-syrien-et-un-sybarite-romain-ABE3XCFUWZEQVKB4DZMF6Z3O6A/

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