Souvenirs gourmands

Critique gastronomique, Philippe Fiévet a arpenté les routes de Wallonie et de Bruxelles pendant des années pour le compte de journaux et de ces guides qui font la pluie et le beau temps dans le monde de la restauration. Gourmand et gourmet, l’homme rend compte d’un univers qu’il a côtoyé de près comme observateur, mais aussi comme acteur. S’il prend la précaution classique de dire dans son propos liminaire que les faits décrits relèvent de la fiction, on reconnaît sans peine les lieux cités et les personnes évoquées à telle enseigne que le récit peut s’apparenter à un documentaire intimiste sur le monde des restaurants et des guides gastronomiques en Belgique francophone.

L’univers de l’horeca est connu pour l’extrême volatilité des enseignes et des gérances. Les métiers de bouche exigent une disponibilité et une dépense d’énergie constante dont l’ampleur est souvent mésestimée. Dans ce monde de labeur, la renommée se construit et se mérite chaque jour. La reconnaissance apportée par une étoile ou une toque ajoute de la pression et du risque. Durer dans ce contexte exige un effort sans relâche mais aussi une constitution et un équilibre hors du commun.

L’auteur a collaboré à plusieurs guides et il a noué de belles amitiés avec des restauratrices et restaurateurs de talent. Il n’hésite pas à épingler les tricheurs ni à saluer ceux qui n’ont jamais fléchi.

Formé d’épisodes successifs inscrits sur la ligne du temps, Sur un air d’opéra bouffe suit le destin mouvementé de quelques chefs tout en décrivant le monde coloré de la presse gastronomique et des guides. Ici plus encore que derrière les fourneaux, la déontologie est malmenée : connivences entre critiques et chefs, éditeurs véreux, chefs vénaux, choix biaisés, rien ne nous est épargné. Au point que les inconditionnels des guides ne peuvent qu’en ressortir décontenancés.

Homme de passion, le narrateur qui se plaît à marier les plaisirs assortit son périple du compte rendu de ses aventures amoureuses (les critiques dégustent accompagnés pour ne pas éveiller les soupçons) tout en mentionnant régulièrement l’évolution affolante de son propre poids. Glouton toutes catégories et sans a priori, il vante les mérites de la grande cuisine française tout en cultivant la curiosité et il nous relate ses découvertes avec le langage fleuri et enthousiaste qui sied au genre littéraire qu’il pratique, quitte à prendre des libertés langagières et orthographiques. Qu’importe puisque c’est la passion qui parle, guidée par la recherche du bon et de l’authentique et que, même malmenée, elle se déploie intacte au fil des pages ! 

Thierry DETIENNE, dans Le Carnet et les Instants.
https://le-carnet-et-les-instants.net/2021/01/01/fievet-sur-un-air-d-opera-bouffe

© Philippe FIÉVET, 2024

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