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Philippe FIÉVET

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Costa Lefkochir : chemin de vie

À Liège, le musée de la Boverie consacre jusqu’au 7 août une remarquable rétrospective au peintre d’origine grecque, au fil d’un parcours thématique admirablement scénarisé par Claude Lorent, commissaire de l’exposition. 

Figure emblématique de la vie artistique liégeoise, Costa Lefkochir n’a cessé, à travers son œuvre, de poser des jalons pour tenter de répondre aux grandes questions existentielles. Né à Héraklion en 1952, il quitte la Grèce, alors sous l’emprise du régime des colonels, pour s’installer à Liège à l’âge de 18 ans. Un parcours d’immigré dont il se souviendra avec acuité quand il s’engagera en faveur des enfants du Togo, ou lorsqu’il réalisera cette peinture d’un jaune solaire sur lequel dérive une barque effilée, en hommage au drame des migrants syriens. Le voici donc à Liège, étudiant à l’Académie des Beaux-Arts, d’abord séduit par le surréalisme de Magritte et de Dalí avant d’abandonner le figuratif «pour mieux exprimer ce que je suis sans la force de l’image», et s’orienter dans la voie d’une abstraction fondée sur les valeurs humanistes qui lui sont chères.

Au début des années 1980, il expose pour la première fois à Spa chez Didier Fettweis et commence à tracer son chemin après une rencontre déterminante, celle du peintre catalan Antoni Tàpies: «Il m’a sorti du classicisme grec dans lequel j’avais grandi.» Entre-temps, il épouse une Liégeoise, son plus indéfectible soutien, qui lui donnera une fille. Durant leurs premières années, sa femme Myriam et lui retourneront vivre par intermittence à Paros, une île des Cyclades où ils tiendront un magasin proposant des tissus crétois, des kilims et des poteries artisanales.

De retour en Belgique de manière permanente, Costa affute sa palette. Il crée le groupe Atelier 18, travaille l’acrylique sur différents supports, passe de la peinture monumentale à l’intégration d’objets et de matériaux naturels. On se souvient de ses colonnes arborant des écorces peintes comme autant de fossiles contemporains, ou de ses livres-sculptures enfermant dans leur écrin un poème scellé pour l’éternité, mais aussi de ses nombreuses expositions personnelles en Belgique, en France, en Allemagne, en Suisse, en Espagne et en Suède. «Cent et cinq au total», dénombre-t-il, sans compter les expositions de groupe! Quelles sont celles qui ont le plus compté à ses yeux? «Athènes, en 1997, car c’était ma première exposition dans mon pays d’origine. Mais aussi ici, à Liège, au musée Curtius, il y a quatre ans, quand j’ai investi les trois étages de ce bâtiment emblématique. Et
puis, bien sûr, la présente rétrospective au musée de la Boverie, qui présente monumentales réalisées de 1989 à 2022.»

Si Liège a toujours été son port d’attache, Costa a néanmoins conservé un petit atelier à Paros, une façon de garder le contact avec sa terre natale. Chaque année, il va le rejoindre pendant deux mois et y poursuit son travail. Le dernier en date? Des sculptures en marbre d’une éclatante blancheur, rappelant au passage que le Parthénon a été réalisé avec le marbre de l’île: «Le blanc est la couleur qui me permet de me recentrer et d’entrevoir un nouveau départ, de trouver un espace de silence en m’éloignant de la séduction des autres couleurs que j’affectionne, comme le bleu de cobalt, le jaune d’or et la terre de Sienne brûlée.»

L’actuelle rétrospective est, de fait, une explosion de couleurs et illustre «l’universelle transcendance d’une humanité en marche», comme l’a écrit le conservateur du musée, Grégory Desauvage. Mais, finalement, les mots importent peu, tant ces peintures riches en symboles se passent de filtre pour aller à l’essentiel, traduire le mystère du monde, la vibration des cœurs et leurs aspirations les plus profondes.

Visible jusqu’au début du mois d’août, l’événement participe à cet objectif, sans respecter de la chronologie puisque c’est la dimension thématique qui a été privilégiée. Celle que Costa Lefkochir, en digne Crétois, aime comparer au fil d’Ariane... mais sans Minotaure, car l’artiste cultive avant tout le sens de l’entraide et de la solidarité. C’est son ami Spyros Amorantis, directeur de l’IRFAM, qui est à l’initiative d’un projet de développement dans douze villages togolais, lancé il y a vingt-deux ans déjà. Il l’a maintes et maintes fois accompagné dans le but d’organiser, pour les enfants, des ateliers de dessin et de peinture au fin fond de la brousse. «De la couleur et quelques pinceaux ont suffit pour les émerveiller, changer leur vie et transformer du même coup la mienne. Cela a bouleversé ma relation aux autres et aujourd’hui encore, nous intervenons pour équiper ces villages en eau courante et en électricité.» Et Costa de nous répéter, au terme d’une visite passionnante en sa compagnie, combien le plus important pour lui, ce sont les autres. Lui qui se définit d’abord comme un peintre de l’humain.

Philippe Fiévet.
Article publié dans la rubrique Art et Scène de Paris Match Belgique le 30.06.2022.

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